Et si les entreprises réinventaient leur modèle économique en s’inspirant de la nature? Serait-ce utopique de penser qu’elles pourraient ainsi renforcer leur lutte contre le changement climatique tout en consolidant leurs performances et leur image de marque? Pas du tout.

Ces dernières années, les entreprises occidentales ont pris des mesures importantes pour rendre leurs chaînes d’approvisionnement plus durables dans le but de lutter contre le changement climatique.

En 2020, General Motors a nommé son premier directeur du développement durable pour conduire le constructeur automobile et l’Amérique vers un avenir entièrement électrique et sans émissions. Déjà, à la fin de 2017, la firme annonçait vouloir produire 20 nouveaux véhicules 100 % électriques d’ici 2023. En adoptant les principes de l’économie circulaire visant le zéro déchet, le fabricant de produits ménagers SC Johnson a déjà rendu 94 % de ses emballages plastiques recyclables, réutilisables ou compostables. Et Levi Strauss secoue le secteur de l’habillement (un des principaux contributeurs au réchauffement climatique) en s’engageant à réduire ses émissions de gaz à effet de serre dans ses propres usines de 90 % d’ici 2025.

Toutes ces nobles stratégies de développement durable (réduire les déchets et les émissions et opérer une transition vers les énergies renouvelables) visent à « faire plus avec moins », c’est-à-dire à créer plus de valeur économique en polluant moins et en utilisant moins de ressources naturelles. Or, cette posture de « faire moins de mal » à l’environnement ne suffit pas, et ce, pour trois raisons.

Premièrement, le changement climatique s’amplifie et les ressources se raréfient beaucoup plus rapidement que ce qui avait été anticipé. Ainsi, le Jour du dépassement de la Terre (il s’agit du moment de l’année où la consommation des ressources naturelles de l’humanité dépasse la capacité de régénération de la planète) est de plus en plus tôt année après année (excepté en 2020, où les mesures de confinement liées à la crise du coronavirus ont permis de faire reculer la date de trois semaines).

Deuxièmement, la pandémie ne fait qu’aggraver les disparités socioéconomiques en Amérique. En conséquence, les employés et les consommateurs frugaux et en quête de valeurs, particulièrement ceux issus des générations Y et Z, souhaitent que les entreprises prennent position contre toutes les formes d’inégalité et contribuent positivement à la société.

Troisièmement, les consommateurs veulent que les entreprises aillent bien au-delà de la durabilité et qu’elles « fassent plus de bien » à la planète. Selon une étude de ReGenFriends, près de 80 % des consommateurs américains préfèrent les marques « régénératrices » aux marques « durables », jugeant ce dernier terme trop passif.

La forêt, source d’inspiration

Mais qu’est-ce que la régénération exactement? Nous pouvons l’apprendre de la nature. Dans sa conférence TED intitulée « Comment les arbres se parlent », Suzanne Simard, professeure d’écologie forestière à l’Université de la Colombie-Britannique, montre à quel point la nature est généreuse – une vertu que nous n’associons pas au monde impitoyablement concurrentiel des entreprises. Les arbres des forêts partagent des informations et des éléments nutritifs avec leur écosystème en utilisant un réseau profond de champignons dans le sol.

Et si les entreprises réinventaient leurs chaînes d’approvisionnement et leurs modèles économiques pour fonctionner de manière altruiste comme une forêt? Elles fonctionneraient alors comme des entreprises régénératrices qui redonnent dix fois, voire cent fois, plus à la société et à la planète que ce qu’elles en retirent.

Alors qu’une entreprise durable cherche simplement à réduire son empreinte carbone, une entreprise régénératrice cherche consciemment à élargir son empreinte socioécologique en restaurant la santé des personnes, des lieux (les communautés) et de la planète, comme l’énonce Greg Norris, professeur à Harvard en analyse du cycle de vie. Ce faisant, les entreprises régénératrices peuvent obtenir des performances financières et un impact supérieur à ceux de leurs homologues axés uniquement sur la durabilité.

La bonne nouvelle est que des entreprises pionnières comme Danone, Eileen Fisher, General Mills, Interface, Marks & Spencer et Patagonia mènent la révolution régénératrice en Amérique, en Europe et à travers le monde.

Un exemple à succès

Dans le cadre de sa mission Climate Take Back, dont l’objectif est d’inverser le réchauffement climatique, le premier fabricant mondial de tapis modulaires, Interface, a piloté en Australie le projet « Factory as a Forest » (« L’usine-forêt » en français). En principe, cette usine vertueuse fournirait gratuitement à son environnement de nombreux « services écosystémiques positifs » que l’écosystème local qu’elle remplace aurait fournis tels que de l’air et de l’énergie propres, de l’eau potable, une captation du carbone et le cycle des nutriments.

S’appuyant sur les leçons tirées de ce projet pilote, Interface s’est associée au cabinet de conseil en bio-inspiration Biomimicry 3.8 pour revoir la conception de son usine américaine, située près d’Atlanta en Géorgie, afin qu’elle fonctionne davantage comme un écosystème naturel, à la fois performant et altruiste. En 2018, tous ses produits étaient neutres en carbone. Aujourd’hui, l’entreprise place la barre encore plus haut : fin octobre 2020, elle a mis sur le marché les premières dalles de moquette négatives en carbone au monde, lesquelles emmagasinent plus de carbone qu’elles n’en créent, « from cradle to gate » (c’est-à-dire de l’extraction des matières premières à la fin du processus de fabrication) sans compensation carbone. Comme nous l’a confié Erin Meezan, responsable du développement durable chez Interface, « l’heure du “On fait moins de mal à la planète” est révolue. Avec le programme Climate Take Back, nous avons pour objectif d’inverser la courbe du réchauffement climatique. En développant des usines et des produits écologiquement vertueux, nous comptons devenir une entreprise régénératrice avec un bilan carbone négatif d’ici 2030. Et, au-delà, nous voulons inciter tout notre secteur à nous suivre. »

Des objectifs multiples

Certaines entreprises avant-gardistes veulent régénérer non seulement la planète, mais aussi les individus et les communautés souffrant de la COVID-19 et sur lesquels la récession a un impact important. Ces entreprises visionnaires pratiquent la triple régénération, une stratégie intégrée pour restaurer, renouveler et développer les personnes, les lieux et la planète de manière cohérente et synergique.

Le géant de l’alimentation Danone développe cette triple régénération avec son programme « Une Planète. Une Santé ». L’entreprise aide ses fournisseurs agricoles à adopter une agriculture régénératrice en utilisant des techniques scientifiques et des méthodes naturelles comme la rotation des cultures pour enrichir le sol, la préservation de la biodiversité et l’amélioration du bien-être animal. En adoptant ces pratiques, les agriculteurs en difficulté financière peuvent « faire mieux avec moins » : ils peuvent augmenter les rendements – et donc leurs revenus – et la valeur à long terme de leurs terres tout en minimisant les émissions de CO2 et l’utilisation d’engrais toxiques ainsi qu’en préservant les eaux d’irrigation. L’agriculture régénératrice peut revitaliser les communautés rurales vulnérables et inverser le cycle du changement climatique en captant le carbone dans le sol. De leur côté, les consommateurs en profitent également, car ils peuvent bénéficier d’aliments riches en nutriments produits par un sol qui l’est tout autant.

Compte tenu de l’urgence sociale et climatique, les entreprises devraient joindre leurs forces et s’associer avec la société civile pour former une coalition multisectorielle, de façon à développer et à soutenir cette triple régénération.

En régénérant les personnes, les lieux et la planète comme le font Interface, Danone et Marks & Spencer, les entreprises pourraient améliorer le bien-être de millions de personnes et revitaliser des milliers de communautés. Il est estimé que, en construisant une économie régénérative négative en carbone, le monde pourrait potentiellement créer 26 trillions de dollars en valeur financière et 65 millions de nouveaux emplois verts d’ici 2030.

Article fortement inspiré de « Au-delà de la durabilité, l’entreprise régénératrice », Navi Radjou, Harvard Business Review, 12 avril 2021.

 

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