La pandémie a révélé l’une des principales faiblesses de nombreuses chaînes d’approvisionnement, soit l’incapacité à réagir aux perturbations soudaines et à grande échelle de celles-ci. Ce manque de résilience a été particulièrement notable dans les chaînes d’approvisionnement des industries des sciences de la vie, des soins de santé et de l’alimentation. La tourmente qui en a résulté a suscité des appels aux entreprises qui avaient délocalisé leur production en Asie (et en Chine, en particulier) pour la rapatrier localement. Cette stratégie a su pallier à certaines problématiques, mais n’est pas la panacée pour sécuriser les chaînes. D’une part, compte tenu de l’immensité du marché chinois, la plupart des entreprises mondiales devront y maintenir une présence pour le servir. D’autre part, étant donné que la Chine est désormais une source dominante, voire unique, pour des milliers d’articles, réduire la dépendance à son égard dans de nombreux cas nécessitera des investissements et du temps considérables.

La meilleure façon de rendre les chaînes d’approvisionnement plus résilientes est de cartographier les différents acteurs : fournisseurs, usines de fabrication, distributeurs et autres éléments du réseau logistique et d’appliquer un test de résistance pour évaluer la capacité de la chaîne à se remettre de la perturbation potentielle de l’un de ces acteurs. Une fois que l’on a compris où se situent les goulots d’étranglement ou les maillons faibles, diverses stratégies d’atténuation peuvent être envisagées, notamment l’ajout de capacités de fabrication, une diversification des fournisseurs ou encore la création de stocks tampons.

La relocalisation seule ne crée pas nécessairement la résilience. Considérez par exemple la pénurie de viande qui s’est déroulée aux États-Unis en 2020. La chaîne d’approvisionnement de cette industrie est entièrement nationale. Afin de réduire les coûts, de nombreuses entreprises se sont concentrées sur la consolidation des activités de fabrication. Le résultat : un nombre relativement restreint d’abattoirs transforme désormais une grande partie du bœuf et du porc consommés aux États-Unis. La fermeture d’une usine, même pour quelques semaines, a un impact majeur dans tout le pays : elle écrase les prix payés aux agriculteurs et entraîne des mois de pénurie de viande dans le marché.

Dans d’autres cas, l’augmentation de la résilience de la chaîne d’approvisionnement pour les produits et services essentiels passant par l’élaboration des capacités de fabrication locales est effectivement envisageable, mais n’est pas nécessairement une avenue économiquement rentable ou simple à opérer. Par exemple, dans l’industrie pharmaceutique, plus de 80 % des produits chimiques utilisés pour fabriquer des médicaments vendus en Europe proviennent désormais de Chine et d’Inde. La production chimique est préjudiciable à l’environnement, de sorte que l’augmentation de la résilience des chaînes d’approvisionnement en médicaments nécessite le développement de technologies propres, ce qui peut prendre jusqu’à 10 ans et nécessiterait un investissement financier important en territoire Européen.

Il s’avère donc que la cartographie et les tests de résistance sont une approche beaucoup plus porteuse de sens sur le long terme. Les entreprises qui utilisent cette approche constatent souvent que le risque est caché dans des endroits inattendus. Par exemple, la Ford Motor Company a révélé un risque élevé inattendu associé aux petits fournisseurs, y compris de nombreux fournisseurs locaux. Ils ont par exemple identifié que l’une des pièces « fragilisantes » de leur chaîne d’approvisionnement était un capteur à faible coût largement utilisé dans les véhicules. Si l’approvisionnement de celui-ci était interrompu, le constructeur automobile devrait arrêter ses opérations de fabrication. Étant donné que le montant total dépensé pour cet article était faible, le groupe d’approvisionnement de Ford n’y avait pas prêté beaucoup d’attention jusqu’alors.

Pour les industries essentielles au pays, telles que les produits pharmaceutiques et les soins de santé, le gouvernement devrait s’impliquer pour garantir la résilience des chaînes d’approvisionnement. Il y a d’ailleurs un précédent : à la suite de la crise financière de 2008, le gouvernement américain et l’Union européenne ont institué un test de résistance pour les banques afin de garantir que les principales institutions dont la défaillance pourrait entraîner l’effondrement de l’ensemble du système financier avaient les moyens de survivre à une future crise. Sur la base de cette expérience en matière de risque de chaîne d’approvisionnement, il serait sage que des chaînes d’approvisionnement tout aussi critiques soient tenues de passer des tests de résistance et que cet exercice soit audité par les gouvernements.

Les entreprises doivent agir maintenant pour découvrir les faiblesses qui existent dans leurs réseaux d’approvisionnement, et les gouvernements doivent décider quelles industries sont essentielles pour leurs pays. Ce n’est qu’alors qu’ils pourront commencer à prendre des mesures qui garantiront que les troubles générés par la pandémie ne se reproduiront plus.

Article traduit et adapté de « Building Resilient Supply Chains Won’t Be Easy » de David et Edith Simchi-Levi, paru dans le Harvard Business Review le 23 juin 2020.

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